LA RÉCESSION POURPRE


Mornal Danaki tendit l’assiette à sa femme pour reprendre de ce si bon civet de ronge-casse au vin et à la crème. Ses enfants finissaient avidement leurs gamelles pour tenter de profiter du second service. Au loin, Mornal perçut une certaine agitation dans son bourg. La grand-salle où ils mangeaient en famille donnait sur la rue principale. En tant que bourgmestre, il avait fait bénéficié sa demeure de larges fenêtres, toutes de verre fileté, point trop opaque, suffisamment régulier pour ne pas déformer, issu de l’art onéreux des Maîtres Verriers de Sudram. Et justement, la transparence de ces carreaux lui permit de voir passer plusieurs de ses administrés se diriger d’un pas pressé vers la Grand Place, à quelques enjambées de là.

Mornal s’essuya la bouche d’un air mécontent, puis se leva :

- Faut que j’aille voir. Des borborygmes accompagnèrent un jeter de serviette puis sa famille perçut dans les grommellements : …Être dérangé en plein déjeuner à Dordeli … un événement en soi…

- Je te laisse du civet dans le coquelon.

Mornal passait le pas de la porte quand Madame négociait déjà avec les enfants les restes de ronge-casse. Son époux disparut sans qu’elle n’eût le temps de tourner la tête dans sa direction.

Mornal fut surpris par l’atmosphère tendue qui le saisit dès qu’il sortit de sa demeure. Un groupe semblait se disputer au pied de l’échafaud, à deux pas des têtes plantées sur les poteaux dressés au milieu de la Grand place. Pourtant, la veille avait été une bien belle journée, pour une exécution. Même les femmes qui d’habitude critiquaient la trop grande fréquence des sentences n’avaient pas semé le trouble en parlant de violence abusive. Alors pourquoi cette agitation aujourd’hui ?

Mornal vit ses dordeliniens entourer des étrangers. Un petit groupe d’une dizaine d’âmes, et un jeune fougueux, parlant sans cesse, sûrement leur chef.

Comme Mornal n’entendait rien à cette situation, il se fondit dans la masse de ses citoyens pour écouter et détailler ces nouveaux-venus bien irrespectueux de la trêve du déjeuner. Des pauvres, habillés de braies sombres, des chausses de cuir élimées, et de manteaux qui avaient vu tomber bien des pluies. Il vit pendre à chacun de leur cou un médaillon qu’il mit du temps à identifier : deux hémisphères aux pointes hérissées. La représentation de Di-Mana, l’un des astres qui tourne autour de Derio. À l’exception du pendentif, quel groupe hétéroclite d’hommes et de femmes, affublés de nombreux bijoux sur des habits sales, avec des cheveux longs, ou parfois rasés, tous d’âges différents… Seule la crasse les unissait. Le jeune coq véhément -cheveux courts- pointait du doigt les têtes sur les piques. L’œil rond et les sourcils en vague, Mornal était tout ouïe :

- Allons ! Ne voyez-vous pas que l’honneur de ces gens n’a pas été respecté ?

Les invectives fusaient de différents citadins :

- Holà l’étranger, ils ont eu leur dernier repas !

- Comment ça ? On n’a pas touché leurs femmes !

Le jeune coq qui répondait au nom simple de Sénande semblait rompu aux réponses véhémentes de villageois trop bourrus :

- Certes, mais que dire du traitement que vous leur faites subir en les exhibant ainsi ?

- Quel est le problème ? C’est comme ça qu’ils expient !

- Qu’ils expient ? Je crois plutôt que personne ne leur a demandé si c’était leur volonté !

- Ah ben dans leur état, ils ne peuvent plus vraiment en causer !

Des rires fusèrent, bien évidemment, mais Sénande restait de marbre. Ses acolytes ne semblaient ni agressifs, ni dans le conflit, ils étaient neutres. Sénande reprit :

- Intéressant, en effet. Ils ne parleront plus. Pourquoi ? Parce que leur corps ne peut plus fonctionner. Alors vous allez me dire comme on vous l’inculque depuis votre plus tendre enfance, que ces corps vont se fondre avec Derio, que Derio les absorbera, que la vie continue ainsi perpétuellement, et qu’il est triste que le corps disparaisse, mais tout reviendra dans tout. Alors tout va bien dans votre meilleur des mondes.

Maintenant, les citadins se lançaient des regards équivoques, ne sachant trop où Sénande voulait en venir. Ils avaient l’impression d’être pris pour des idiots, à qui on explique qu’une fleur ça fane, et que les pétales ne repousseront pas.

- Tu veux en venir où, comme ça ? Toi t’explique la vie, hein ? Tu veux quoi ? J’vais t’foutr’ le pieu de la bêche bien profond, que ton cul crachera plus de merde qu’y en a dans la bauge !

La tirade en agita certains, la foule s’excitait maintenant sans retenue. Mornal leva alors la main, et tous se ressaisirent pour écouter leur bourgmestre :

- Allons. Rien ne justifie les insultes. Ces gens venus de loin méritent au moins d’être écoutés. Je me nomme Mornal Danaki, et je dirige Dordeli. Assurez-vous que rien de malveillant ne vous sera fait. Par ailleurs, ne cherchez pas à nous énerver non-plus. Que vouliez-vous nous dire, exactement ? Ah oui ! Vous parliez des corps qui suivaient le cycle de toute vie.

- En effet, Monsieur Danaki, et c’est tout à votre honneur de nous laisser poursuivre. Nous n’avons pas rencontré telle obligeance où que nous allions !

- Oui, mais je vous le répète, n’abusez en rien. Ceci n’est pas un passe-droit, juste une délicatesse de ma part.

- Hem… Sénande sembla un peu gêné par cette dernière remarque. Le bourgmestre paraissait sincèrement bienveillant, mais dans un même temps, son regard inquisiteur sondait en profondeur, presque comme une menace à son égard. Il passa outre cette mauvaise impression et poursuivit son laïus :

- Je… Nous pensons que ce n’est pas la vérité. Le cycle de la vie n’est pas ainsi. Un brouhaha naquit sur ce dernier mot, mais Sénande ne laissa pas enfler la rébellion :

- Oui, car au juste, qui sommes-nous pour être sûrs de ce qu’il se passe vraiment ? Il faudrait pouvoir interroger les intéressés. Mais nous avons déjà soulevé la question, ce qui nous a mené à ce que nous disions. Ces corps inertes ne nous donneront aucune réponse en l’état, vous avez raison. Nous tournons en rond…

Alors que Sénande commençait à esquisser un sourire, le visage de Mornal se figeait de stupeur ; il avait enfin saisi où les étrangers voulaient en venir. Encore des charlatans qui cherchaient à duper les simples avec des tours de passe-passe. Il bondit sur Sénande, lui attrapa fermement l’habit et le tira à l’extérieur du cercle des protagonistes. Les amis de Sénande ne réagirent pas, car ils avaient mal jaugé la rapidité du bourgmestre. Et les administrés ne firent rien, ne sachant ce que voulait faire Mornal. Ce dernier ne cherchait qu’à isoler Sénande, juste pour pouvoir lui parler en toute discrétion :

- Écoutez-moi bien, car je ne le dirai qu’une seule fois là-aussi : je ne sais quelle magie vous voulez utiliser, mais j’ai bien compris votre petit jeu. Vous ne ferez pas revivre ces corps inertes, encore moins ils ne parleront. Il est hors de question que vous utilisiez la crédulité des habitants de Dordeli en animant des cadavres. J’ai vu nombre de magies de foires, usant de fantasmagories pour tromper les simples.

- Oui mais justement…

Sénande fut immédiatement interrompu par la force du regard de Mornal :

- Et si cette magie produit une once de vérité, à savoir une véritable résurrection -car j’ai déjà été témoin de ces magies puissantes mais nauséabondes- alors le cas est bien pire. Si vous avez le pouvoir d’animer les corps, pas un de votre petite bande ne sortira vivant du bourg. Sinon au bout d’une pique. Et plus personne ne sera là pour vous réveiller. Alors ? À quelle catégorie appartenez-vous ?

Sénande sentait l’air glisser sur sa nuque. Il eut un petit frisson. Mornal attendait.

- Ni l’une ni l’autre, rassurez-vous. Juste la conviction de ce en quoi je crois.

Il se défit sans violence de l’emprise de Mornal pour rejoindre l’auditoire :

- Amis, je fais partie du Grand Éveil.

- C’est quoi encore, ces conneries ? Vociférèrent certains. La foule s’agitait, mais Sénande poursuivit, bras levés, jetant de brefs regards craintifs à Mornal :

- Attendez, attendez ! Je ne veux que vous parler, et ensuite nous partirons. Nous, les gens du Grand Éveil, sommes porteurs de deux révélations. Nous possédons deux choses que vous ne connaissez pas ! Et nous les partageons avec ceux que nous rencontrons. Vous devez savoir. Il est de notre devoir de vous dire qu’il existe deux mots dont vous n’avez pas conscience, et qui changeront à jamais vos vies, comme celles de tous les habitants de Derio ! Deux petits mots ! Mais qui changenttout. Nous, ceux du Grand Éveil, faisons partie de ce que l’on appelle un Culte.

Le silence était complet, rien ne se lisait sur les visages. Tout le monde était suspendu aux « révélations ».

- Un Culte est une chose très particulière. Jamais rien de pareil n’a existé sur Derio. Un Culte, c’est comme un enseignement, mais on vous apprend ce qui est caché, ce que personne ne sait. C’est une révélation de tous les états de la compréhension. Alors nous vivons, comme une communauté, et nous allons de cités en villages pour offrir la vérité. Nous ne demandons pas que tous épousent notre croyance, mais ceux qui épousent notre croyance font alors partie de ce nouveau mot que nous nommons Religion. Cette chose qui nous relie dansnotre Culte, qui fait que l’on parle la même langue, que l’on vit avec la même intensité les mêmes choses. Nous faisons Religion, nous vivons Religion, nous sommes Religion. Ainsi est notre Culte.

- Ouais mais ça change quoi, ta Religion ? Fusa une voix aigre mais insistante. Ça marche comment, un Culte ? Ça fait déjà deux mots, non ? -un autre répondit : je crois que Religion et Culte, c’est un peu la même chose. Ouais ben ça fait deux ! Enchérit un dernier.

Sénande haussa le ton pour porter sa voix au-dessus des commentateurs intempestifs :

- Dans ce Culte, tu crois enfin en quelque chose, car on t’a expliqué la vérité. Tout ce que tu as entendu depuisque tu es un enfant est faux. Et depuis tout petit, tu as toujours eu un manque, au fond de toi. Un je-ne-sais-quoi pas à sa place. Le mensonge global. Et puis un jour, tu entends la vérité. Et tout est au bon endroit. Tout fait sens. À partir de ce moment-là, tu peux partager ce bonheur avec les autres, pour les autres.

Les gens n’étaient plus agressifs, mais ne semblaient pas pour autant captivés ou conquis par ce que disait Sénande. Seul Mornal réfléchissait à vive allure, la tête légèrement inclinée à l’écouter, comme l’eût fait un chien pour son maître. Il osa poser la question qui lui brûlait les lèvres :

- Oui mais ce Culte, ou cette Religion, (le mot est étrange, il m’évoque vaguement quelque chose), il a bien fallu quetu commences à y croire, à adhérer ! Qu’est-ce qui t’y as amené ?

- Bourgmestre, ta question est cardinale. Lors de ma première rencontre avec le Grand Éveil, le second mot m’a été révélé. Celui qui a tout déclenché, et il est lié à ces hommes. Sénande pointait à nouveau les têtes des malfrats sur les pics de la Grand Place :

- Regardez-les bien, et essayez d’imaginer. On vous a toujours dit qu’ils se fondraient à nouveau dans Derio, notre terre nourricière. Et si ce n’était pas le cas ? Imaginez que l’état dans lequel ils sont soit l’opposé de la vie, le contraire du mouvement ? Que jamais ils ne rentreront dans un cycle vertueux, qu’ils ont disparu à tout jamais ? Qu’en leur ôtant leurs mouvements de vies, vous leur ayez aussi ôté toute continuité de vie ? De les faire bénéficier du grand cycle de la vie ?

- C’est impensable ! Stupide ! Fusaient à chaud les réflexions. Pourquoi serait-ce autrement ? Quelles preuves ?

- Ce second mot qui m’a permis de comprendre le monde, qui m’a mené à la Religion, qui m’a fait épouser le Culte, c’est celui qui désigne cet état au-delà de la vie, ce qu’il se passe vraiment quand un corps ne bouge plus, cet état de néant, la non-vie, la Mort.

Sénande posa sentencieusement le mot comme s’il avait touché une relique du bout des doigts. Ses acolytes, qui n’avaient montré aucun signe jusqu’à présent, esquissèrent un vague sourire de béatitude, commesi LE mot les sortait de leur torpeur, du monde inconfortable et imparfait des Autres.

- Oui, la Mort. Car si vous avez jugé ces gens au bout d’une pique, non-content de les punir, vous les avez tués. Pas juste arrêtés. Tués. Un état dans lequel leur monde s’est enrayé à tout jamais. La Mort est ce moment où plus rien ne peut faire demi-tour. La disparition éternelle. L’antithèse de la vie. C’est la sanction ultime que vous avez administrée. Et cela, rien ne vous en donne le droit.

L’assistance faisait montre d’une incompréhension totale. La tournure d’esprit, tous ces nouveaux mots, leur jugement par un étranger, rien n’entrait dans leur champ du plausible. Mornal fixait toujours intensément Sénande et lança dans un silence total cesmots qui paralysèrent l’auditoire :

- Cela fait sens, tu dois avoir raison.

Un instant surpris, le prophète du Mot posa délicatement mais fermement la main sur l’épaule du bourgmestre.

- Je lis dans tes yeux que tu nous comprends. Alors suis-nous, et tu verras le monde tel qu’il est.

Qui des habitants de Dordeli ou de son maître faisait la plus étrange des têtes, nul ne put trancher. Mais le soir venu, Mornal abandonnait femme, enfants, et administrés. Il restait pourtant du ronge-casse dans le coquelon qu’il ne mangerait pas.



*



Chemin faisant, Mornal suivait Sénande comme son ombre. C’était tout juste s’il discutait avec les autres acolytes. Il ne cessait de poser des questions, d’interroger la vie, le monde, les sources du Grand Éveil. Personne ne s’en offusquait, c’était le chemin que devait prendre tout nouvel acolyte, ignorant des autres, suivant la lumière du plus éclairé. Et Sénande toujours de répondre, le sourire affable, le sourcil légèrement levé, avec cette pointe de condescendance masquée si chère à ceux qui savent quand ils discourent avec ceux qui ne savent pas.

- Où allons-nous depuis trois jours, Sénande ? Quelle destination poursuis-tu de ce pas sûr ?

- Nous rejoignons un lieu qui fait sens pour nous, et qui sera ton premier éveil.

- C’est un lieu de réunion ?

- Un lieu de Culte, plus précisément. À cet endroit, nous procéderons à des rites, des danses, des gestes qui, dans cet endroit, ont un accomplissement. C’est cela que l’on appelle un Culte. Un lieu où des gens pratiquent des rituels qui renforcent ce en quoi ils croient.

- Ah, très bien. Mornal baissait la tête humblement, comme si tout cela le dépassait. Puis relevant le menton :

- Tu sais, Sénande, il n’y a pas grand chose, dans ma région. Il y a des ruines à une demie journée d’ici, mais ce n’est sûrement pas l’endroit dont tu parles.

- Pourquoi donc ?

- C’est une clairière au milieu d’une forêt sombre. Un chemin que tout le monde évite, que l’on dit maudit pour tout un tas de raisons.

- Tu aiguises ma curiosité, Mornal. Dis-m’en plus !

L’ancien bourgmestre rentrait la tête dans les épaules, comme s’il avait honte de dévoiler les croyances d’un petit lieu perdu, sans intérêt, deceshistoires désuètes comparées à la Vraie croyance :

- Pendant des lustres, les paysans vivant en lisière du bois voyaient régulièrement disparaître leurs enfants dans la forêt et ne jamais revenir. On dit aussi que la région s’était tellement vidée de ses habitants, que les Schistes de Maurabis qui possèdent ces territoires encore aujourd’hui envoyèrent une expédition de cent hommes pour obliger les gens à repeupler les abords de cette forêt. Ils partirent en reconnaissance jusqu’à cette clairière jonchée de blocs de pierres, de murs effondrés.

- Ton histoire devient terrifiante, Mornal.

- Là où le mystère s’épaissit, c’est que des cent guerriers, seuls quatre revinrent un beau matin après leur battue dans les ruines. Les nouveaux villageois qui avaient été contraints de s’installer firent immédiatement leurs paquetages, et repartirent avec les survivants. Ces derniers étaient à moitié fous, déraisonnaient, parlaient d’enfants nus attachés et sacrifiés sur les pierres, encore animés mais dans un état de non-vie, comme tu le disais tantôt. Les guerriers parlaient de malédiction, de leurs confrères qui étaient happés par le sol, de racines qui les enlaçaient, que d’autres jetaient leurs armes pour enlacer les enfants qui les croquaient en retour, pour les étreindre et faire corps avec les pierres sanglantes. Enfin bref tout un inventaire d’horreurs et d’incohérences.

- Je comprends, Mornal. Même s’il existe un fond de vérité à ces péripéties, ces guerriers Maurabis avaient tout intérêt à inventer une histoire de débâcle plutôt que de dévoiler la triste vérité de leur défaite.

- Tu dois avoir raison, Sénande.

- Tu sais, nous rejoignons ces cercles de pierre.

Mornal devint livide. Mais Sénande, dans la rudesse de sa réponse ne voulait pas troubler outre-mesure son nouvel acolyte, alors il poursuivit :

- Rassure-toi, je me suis déjà rendu plusieurs fois dans ce lieu. Il est chargé d’histoire, mais il ne t’arrivera rien de tout cela. Ah ! Je vois ta réelle crainte : non, nous ne sommes pas issus d’un Culte horrible comme tu l’as décrit. Nous ne sommes pas des mangeurs d’enfants.

- Oui, mais pourquoi ce lieu maudit, alors ?

- Je ne le crois pas maudit. Allons, tu es un homme sensé, Mornal. Pour apaiser ton âme, il faut que tu en saches un peu plus sur le Grand Éveil. Tu connais le Mö-Dia-Beg ?

- Bien sûr, c’est l’ère qui précède le Gaïl-Anthir, notre période.

- Bien. Le Mö-Dia-Beg n’est pas seulement le nom d’une ère, mais aussi d’une Diase.

- Une Diase… C’est un Ordre rattaché à une pensée, uncode de conduite, une morale ?

- Tout à fait. Si le Mö-Dia-Beg porte ce nom, c’est bien que depuis qu’elle existe, la Diase cherche à faire émerger la vérité étouffée par les Ordres et les Castes.

- Quelle vérité du monde serait trop essentielle et devrait être dévoilée ?

- Une vérité telle qui ferait que les Ordres s’effondreraient car ils ne répondraient plus à la logique de ce monde conscient.

- Je suis perdu, Sénande. Sois plus précis.

- Le Grand Éveil sert le Mö-Dia-Beg. Nous sommes là pour porter la parole de la Diase.

- Et pourquoi la Diase ne le fait pas elle-même ?

- Parce qu’elle travaille à découvrir ces vérités. Nous, on les apporte aux gens.

- Tu me fais tourner en rond ! Quelles vérités, enfin ?

- Commençons par le commencement. Tu vis dans un rêve. Le rêve de Derio. C’est la première vérité. Et Derio, c’est quelqu’un. Un être qui nous rêve.

- Affabulations. Je pourrais te dire que l’air n’est pas de l’air, mais de l’eau, tu me dirais que c’est faux parce que l’eau, ça coule, je te répondrais que commetout est eau, tu ne peux pas voir l’eau couler.

- Ce n’est pas faux, Mornal. Tu raisonnes bien. Et je ne vais pas chercher à te prouver que tu as tort, je te demande juste de te poser la question : « et si… ? »

- Hum… se renfrogna Mornal. Sénande lui glissait des doigts comme un poulpe poisseux.

- Je ne vais pas te dévoiler toutes les pistes obscures de ce monde, j’en serais bien incapable. Mais ne me dis pas que tu ne t’es jamais étonné de vivre sur Derio, et que Derio le tellème tourne autour de Derio, etc, etc… Et d’où vient ce nom ? Pourquoi sous ce vocable cela désigne tant de choses ? Pourquoi tant de redondances ?

- Oui, certes, ça manque d’imagination.

- Alors pense à la Mort. Ce mot qui te dit quelque chose, mais dont tu ne saurais dire exactement ce que cela signifie. En fait, c’est plus compliqué que ce que j’expliquais à Dordeli. On ne meure pas, sur Derio. Comment peut-on disparaître, quand on n’a pas commencé à vivre ? Tu es le pion d’un rêve. C’est pour cela que tu as toujours entendu dire que quand ton corps s’arrête, tu rejoins le Grand tout. Ben oui, évidemment ! Le rêve retourne au rêve, tu es moins qu’une poussière, tu n’es rien ! Ta réalité est pire : quand ton corps s’arrête, Derio cesse de te rêver. Tu meurs. La Mort, c’est précisément cela. Puisqu’au fond, nous ne sommes que des pensées. Ta seule matérialité estd’être rêvé. Alors quandton cœur ne bat plus, c’est que Derio a cessé de penser à toi.

- C’est horrible, ce que tu dis ! Les mots venaient des tripes de Mornal.

- Voilà ce que fait le Mö-Dia-Beg depuis plus de mille ans. Réunir les preuves, présenter aux autres le résultat de ses recherches. Donner envie aux gens de faire quelque chose d’autre de leur vie. Nous restons des pions de ce monde si nous n’essayons pas d’autres alternatives. Dans mon cœur et dans ma tête, ce monde n’est pas si noir. Il est porteur d’espoirs. D’espoirs de libération. À nous de vivre si on le décide. Et pour répondre à tes premières frayeurs, les ruines dans la clairière, nous allons juste y danser.

- Quelle drôle d’idée !

- Nous le faisons de nuit. Au Grand Éveil, nous avons remarqué qu’à cet endroit précis, quand nous dansions, nous voyions les étoiles et les tellèmes différemment. Allons ! Lève-toi de cette pierre, il faut reprendre notre route !

Sénande tournait déjà le dos à Mornal, et quand ce dernier se dressa enfin, les acolytes l’avaient tous dépassé. Jusqu’à la clairière, il ne dit mot, perdu dans des pensées confuses, avant que la crainte ne le saisisse de nouveau en approchant de la forêt. C’était la fin de la journée, il leur restait à traverser un bois dont la lumière avait du mal à pénétrer. Tous les reliefs étaient écrasés par l’obscurité, et leurs pas irréguliers franchissaient racine après racine, les chausses brisant les branchages tombés au sol, ou foulant les mousses parfois épaisses dans un bruit sourd et étouffé. Plus personne ne parlait, ils étaient des intrus dans ce monde végétal. Mornal se plaça le plus possible au milieu des acolytes qui comprirent implicitement les peurs du nouvel élu de leur maître. Ils agrandirent leur cercle qui se déplaçait de plus en plus aisément dans ces sous-bois. Cela ne les empêchait pas de regarder de droite et de gauche, de lever une main à chaque bruit inconnu. Puis la nuit tomba. Ils ralentirent de nouveau, car il ne vint à personne l’idée d’allumer une torche en ces lieux. Et bien vite, l’obscurité fut complète. Ils mirent encore un long moment avant d’atteindre leur but. Mornal se demandait bien comment ils pouvaient se repérer, lui était aveugle. Puis ses yeux perçurent la lumière entre les branches. Comme une renaissance,la nuit étoilée lui apportait la vision. Sans transition, la forêt s’interrompait pour laisser place à un vaste espace circulaire d’un bon demi-thaler. Au-delà de ce disque vierge, partout de la forêt. Et en son centre, là où la nature évitait d’y pénétrer, de larges murs effondrés, des piliers, d’immenses blocs, d’innombrables silhouettes noires, seules formes verticales en ce lieu, se dressaient vers les étoiles. Il restait encore des structures de plus de vingt bras toujours debout, mais rien n’indiquait la fonction de ces constructions. Bien que le groupe s’approchait, Mornal commençait à interroger les autres à voix basses sur ce que pouvaient être ces ruines si anciennes. Il n’eut pour réponse que des haussements d’épaules.

Très vite, les acolytes installèrent un campement un peu excentré dans les amas chaotiques de pierre, là oùils pouvaient tendre des tissus entre deux blocs, afin de créer des protections de fortune. Après avoir brièvement dépaqueté quelques affaires, le camp avait des airs de marché à ciel ouvert. Sénande se plaça alors au milieu d’eux-tous :

- C’est parfait ! Je sais que vous êtes fatigués, mais je préfère que nous dansions tout de suite, car nous avons pris un peu de retard.

Tous se redressèrent sans émettre d’objection pour converger vers le centre des constructions. Ils arboraient un sourire béât. Sénande mit alors sa main dans le dos de Mornal pour le conduire parmi les blocs.

- Nous allons bien danser, comme je te l’ai dit ! Etsi tu veux une première preuve du Grand Éveil, c’est ce soir que tu peux la voir. Il te suffira de le vouloir.

Ils étaient maintenant tous au centre, mais Sénande conduisit son protégé un peu à l’écart de son groupe.

- D’ici, tu pourras tout appréhender. Si tu veux te joindre à nous, libre à toi. Sache que je ne te juge pas. Tu vas assister à notre célébration des tellèmes. C’est étrange, mais en ce lieu précis avec cette danse précise, nous invoquons les astres et nulle-part ailleurs tu ne les distingueras aussi bien et d’aussi près. Tu m’as raconté bien des histoires à propos de cette clairière, mais la magie que tu vas voir est positive.

Sans plus de précision, Sénande rejoignit les autres, et Mornal s’assit en tailleur pour tous les épouser du regard. Le ciel offrait une lumière somptueuse dans ces ruines, où on devinait des sculptures étranges, comme des têtes gigantesques aux angles saillants, couvertes de motifs tortueux.

Mornal eut un petit frisson quand tous se figèrent, comme des statues pétrifiées, les membres dans des positions incongrues, des jambes tendues, arquées, les bras levés, ou en équerre, le buste déhanché, la tête laxe ou la colonne s’enroulant en arrière. Par leurs positions et leurs attitudes, tous semblaient répondre à un schéma précis. Puis des sons sortirent de leurs bouches, presque au même instant. L’air vibra à l’unisson. Les corps au ralenti, pris de soubresauts, se mouvaient de façon hiératique, puis les gestes s’accélérèrent, leurs pas soulevaient de la poussière, les sons gutturaux s’amplifiaient. Après une lente progression, leurs corps bougeaient maintenant à toute vitesse, mais ils avaient gagné en régularité, et la rapidité des mouvements n’augmentait plus. Mornal n’avait jamais assisté à un tel spectacle. Les corps se croisaient, se frôlaient, dessinaient des formes complexes où chacun contribuait à poursuivre la forme de l’autre. C’était une sorte de tourbillon, comme un vent dont on ne saisissait par les courants. Puis Mornal vit qu’à plusieurs reprises tous levaient les bras, comme pour inviter à regarder le ciel. Alors Mornal leva les yeux. Qu’il ouvrit grands. Très grands. Face à lui se déplaçait un bloc de pierre monumental au milieu des étoiles, un bloc percé en son centre d’un disque, dont quelques débris tournaient autour de l’immense monolithe. Il avait Diug face à lui, ce tellème qu’il avait toujours vu de si loin, etqui pour l’heure était tellement énorme, qu’il semblait occuper tout l’espace. Pourtant, à cette période de l’année, ce n’était pas le cycle de Dyug ! Déjà la roche monumentale fit une révolution sur elle-même et repartit dans l’espace lointain. Sénande, bien que maître de cérémonie, ne manqua pas de jeter un regard en direction de Mornal pour voir s’il « percevait ». Il esquissa un sourire de satisfaction avant de se lancer dans une nouvelle transe.

Puis l’homme assis en tailleur, déjà triste d’avoir vu partir Dyug, se rasséréna quand Karimanda entra dans son champ de vision. Il le reconnut tout de suite, avec ses quatre roches lévitant autour d’un bloc plus important, toutes entourées de nuées de fragments tournant frénétiquement autour de chacune. Une perfection de la nature.Les contemplantd’aussi près, il n’avait jamais perçu la beauté de ces roches vitrifiées, aux luisances multicolores. Le ballet des acolytes se transforma encore et Abidos brilla au loin. Le cristal géant tournait lentement, les étoiles vives traversaient ses facettes qui projetaient des rais de lumière pure repartant vers les étoiles, comme pour communiquer avec elles.

Sénande, qui n’avait pas regardé Mornal depuis un moment, fut surpris. L’homme était recroquevillé, et son corps se balançait d’avant en arrière. De là où il était, Sénande ne l’entendait pas, mais il distinguait ses lèvres, des sons devaient sortir de sa bouche. Mornal était lui aussi dans la vision. Il basculait tellement que son front frôlait le sol. Sénande trouva que l’homme était plus souple qu’il n’y paraissait. Ce devait être l’effet de la transe.

Dans le ciel, maintenant, presque tous les tellèmes leur étaient apparus et avaient offert ce spectacle unique. Sénande perçut un mouvement brusque et d’instinct se retourna. Mornal s’était dressé en un battement de cil. Il était debout, raide comme un piquet. Puis il lança sa jambe. Il marcha droit vers le maître, fixant ce dernier d’un regard pénétrant, calme et effrayant. Quand il arriva aux abords de l’endroit où virevoltaient tous les danseurs, il piqua un peu de biais vers la droite, un danseur l’évita, puis il repiqua à gauche. Sénande était stupéfait, chaque mouvement de Mornal anticipait la position, le passage d’un des danseurs sans jamais le percuter. Et Mornal se dirigeait toujours vers lui. Les acolytes furent aussi surpris. Bien qu’en transe, ils sentirent la présence de ce nouveau danseur statique traverser leur performance. Arrivé à trois bras de Sénande, Mornal s’arrêta :

- Je te remercie de m’avoir offert un si beau spectacle en ce lieu.

- Tu m’en voies ravi, Mornal, fit le maître gêné par la situation. Prends-garde à l’équilibre de notre danse, la magie peut se briser !

- Oh non, je ne pense pas.

Un long silence.

- Que dirais-tu si vous faisiez apparaître Asman-Jir dans le ciel ? C’est le seul que je n’ai pas vu !

Oneût cru un instant que toute la chorégraphie se déréglât. Sénande s’aperçut du décalage et répondit tout en s’agitant pour ré-équilibrer la danse :

- Tu sais très bien que ce tellème est invisible dans le ciel, et sa présence serait source de soucis plus que de contemplations ! Pourquoi y tiens-tu ?

Un long silence.

- Pourquoi n’y tiens-tu pas ?

Sans attendre de réponse, Mornal contracta les muscles de sa mâchoire et ouvrit grand la bouche. Tous eurent l’impression de manquer d’air, comme si l’homme aspirait la vie. Leurs pas s’alourdirent, y-compris pour Sénande. Leurs mouvements ralentissaient, quand ils entendirent un grondement les enveloppant au-dessus de leurs têtes. Et là, au milieu des astres, ils perçurent ce qu’aucun n’avait jamais vu. Un bloc chaotique, une pierre sculptée formée d’une tête mal dégrossie, un crâne, plutôt. Avec, partant des tempes, des espèces d’excroissances cornues, ramassées vers l’arrière de la tête. La simple présence physique de la chose dégageait une aura malsaine, à tel point que les étoiles semblaient s’éteindre dans la radiance du tellème. Un vent puissant s’écrasait au sol, inclinant tous les arbres du pourtour de la clairière. Les danseurs restaient coi face à Asman-Jir, astre hideux au sourire narquois, aux dents de pierre parfois déchaussées et lévitant autour du maxillaire supérieur. Ils voyaient pour la première fois le tellème que l’on ne voit pas, que l’on ne peut pas voir. Puis se diffusèrent de nouvelles lumières,rougeâtres, celles-ci. Sur les piliers de pierre à moitié effondrés apparurent des paires d’yeux. Le rayonnement révéla dans les bas-reliefs des visages exsangues, des têtes de mort scrutant les vivants. Une terreur sans nom s’empara des acolytes. Mornal était immuablement placé au centre, et Sénande voulut hurler à tous de s’enfuir. Son corps l’en empêchait. Du sol, au pied des acolytes surgirent des bras décharnés harnachés de pièces de métal, puis des torses en armures à moitié rongées par la corrosion. Les têtes de ces corps émergeaient, faces casquées de métal rouillé, de poussière dans la chair, d’orbites hallucinées aux tendons luisants. Les bras putrides s’accrochèrent aux vivants pour les emmener dans leurs profondeurs. Sénande reconnaissait dans ces amas de chairs animées des guerriers Schistes de Maurabis. Les histoires de Mornal étaient donc vraies. Mais pourquoi lui seul n’avait pas été submergé par les créatures ? Mornal lui faisait face, impassible. Les yeux des statues brillaient assez pour comprendre que sous cette lumière se dévoilait la nature réelle de ces sculptures : des visages dégénérés, torturés par la douleur, contemplant Asman-Jir dans la délectation de la décadence. Quand Mornal s’adressa à lui, Sénande n’entendit que sa voix, comme si les sons des perturbations alentours appartenaient à un autre monde :

- Sénande, ton honnêteté t’honore. Alors je vais te rendre la pareille. La vérité, cette vérité qui t’est si chère, je vais te la dire, ou plutôt la compléter. Tu as raison, nous sommes bien dans le rêve de Derio. Mais dans ce monde, certains Cultes sont bien plus anciens que ton Mö-Dia-Beg. Je suis un membre actif de la Récession Pourpre. Je vois dans ton œil que ce nom semble te dire quelque chose, un peu comme le mot Mort… Il n’existe que fort peu de Cultes sur Derio, parce que Derio ne voulait pas d’un monde empêtré dans les conflits religieux. La Récession Pourpre trouve ses racines dans le lointain Médylène, bien avant la chute de Lübn. À la Récession Pourpre, nous asseyons notre pouvoir sur la domination des Autres. Si Derio rêve son monde en nous dominant, à nous de dominer ceux qui sont à l’intérieur de son monde. C’est pour cela que nous contrôlons la vie et toute forme de non-mort. Tu l’as dit, un mort est un mort. La mort est un mot simple, pour nous. Alors fort à nous de ne pas laisser les vivants dans la mort. Et Asman-Jir est notre tellème tutélaire. S’il n’apparaît habituellement pas dans le ciel et que seules nous parviennent ses représentations, c’est bien parce qu’il est une antithèse de Derio, de la planète et dutellème qui porte son nom. Ah oui ! Tu t’interrogeais sur le fait qu’il y ait à la fois la planète et le tellème qui se nomment Derio. L’explication est simple, Derio a besoin de protéger l’équilibre des tellèmes en s’imposant aussi dans le ciel. C’est grâce à lui qu’Asman-Jir est occulté. Grâce au tellème Derio, tout simplement.

- Qui es-tu, Mornal ?

- Je te l’ai dit, mon bon Sénande. Je suis un membre actif de la Récession Pourpre. Il leva les bras et épousa l’espace autour de lui. Et ce lieu est un lieu de Culte de la Récession Pourpre. Tout ce que j’ai pu te raconter était vrai, mais partiel. J’en suis le gardien, en fait. À la Récession Pourpre, notre atout principal est l’infiltration. Dans chaque Ordre, chaque Caste, parfois dans les Diases, nous surveillons de l’intérieur. Pour ma part, je ne suis pas un infiltré de tout premier choix, je ne suis que l’humble bourgmestre d’une cité dans une contrée reculée. Mais je suis le gardien de ce temple. Cet endroit auquel tu n’as rien compris. Pas étonnant que tu puisses y faire des prouesses magiques ! Car il est chargé. Lourdement chargé. Mon rôle est de surveiller, mais aussi de fédérer de nouvelles recrues. Tes acolytes vont nourrir les racines profondes de la Récession, mais pour toi, je te réserve autre chose.

- Tue-moi, Mornal, je t’en prie !

- Nous établissons une hiérarchie dans notre Culte basée sur la domination. Tu es un bon soldat. Tu vas donc me servir. Ton Mö-Dia-Beg m’ennuie, avec sa véritébaveuse. Vous n’avez pas encore compris qu’on peut posséder le savoir sans le divulguer aux autres ? Où serait le pouvoir, sinon ? Alors tu vas rentrer bien sagement au Mö-Dia-Beg, ou au Grand Éveil, et tu viendras régulièrement m’informer de l’avancée de votre Diase.

- Tu crois que je vais t’aider ?

- Bien sûr. Je vais te dominer, et quand tu seras dominé, tu seras un membre à part entière dévoué à la Récession Pourpre. Pour cela, je vais utiliser la torture. Nous avons toute la nuit pour nous. Et demain matin, tu repartiras de ton côté. Et moi, je redeviendrai le gentil bourgmestre de Dordeli, avec sa douce famille unie, à manger du ronge-casse en sauce. Je déteste le ronge-casse en sauce.

Dans la solitude de la clairière, Sénande ne pouvait toujours pas bouger. Les corps de ses acolytes avaient disparu dans le sol, sous le temple d’Asman-Jir qui irradiait toujours autant de noirceur. Une larme coula du coin de l’œil de Sénande. De sa tête inclinée et pétrifiée, la larme rejoignit le filet de bave que sa bouche ne pouvait retenir.